Imposition des stock-options: changement de paradigme

Article paru dans le journal Le Temps, 23 novembre 2021

Un changement du traitement fiscal des plans de participations en Suisse est en train de pénaliser l’attractivité de ce mode de rémunération et la compétitivité de notre place économique, selon l’avocat Dominique Guex

Les plans de participation de collaborateurs sont un outil important pour attirer, fidéliser et rémunérer des employés qualifiés dans des sociétés suisses. C’est tout particulièrement le cas des «start-up» et autres «scale-up», gourmandes en talents, mais souvent pauvres en liquidités. Ces plans visent en outre, à divers degrés, à un alignement des intérêts des employés et des actionnaires.

Que l’on parle de l’attribution d’actions, de stock-options, de «restricted stock units» ou d’autres variantes, leur régime d’imposition joue un rôle particulièrement important pour leur attractivité. Dans ce cadre, la principale difficulté est celle de la valorisation, à fins d’imposition en tant que revenu de l’activité dépendante (salaire), des actions de sociétés non cotées, pour lesquelles il n’existe souvent pas de véritable valeur vénale faute de marché.

Une offre attractive
La loi prévoyant une imposition à la valeur vénale, la tendance des cantons romands – notamment Vaud et Genève – était de se fonder dans ces cas sur la même méthode de valorisation que celle retenue pour l’impôt sur la fortune, prévue par la Circulaire 28 de la Conférence suisse des impôts (et considérée comme une valeur vénale au sens de la loi). Concrètement, cela revenait à valoriser les actions sur la base des comptes de la société (méthode dite «des praticiens»). Lorsqu’il n’y a que peu ou pas de bénéfices et que les fonds propres sont mangés par des pertes reportées conséquentes, cela conduit en pratique à retenir une valorisation très basse (souvent la valeur nominale).

Cela permet aux bénéficiaires de ne pas être imposés sur des valeurs importantes alors que les titres en question ne sont pas liquides et que la perspective d’un «exit» ou d’une revente est souvent encore lointaine et incertaine. Jusqu’à récemment, cela offrait ensuite aux bénéficiaires imposables en Suisse la perspective de réaliser un gain en capital (potentiellement important) exonéré d’impôt au moment de la revente des titres.

Le cas de Zurich
D’autres cantons (notamment Zurich) ont eu plus de difficultés à admettre la réalisation d’un tel gain en capital exonéré lorsque l’imposition à l’octroi des actions ou à l’exercice des options s’est faite sur la base des comptes de la société et pas d’une «vraie» valeur de marché.

Dans ces cas, la pratique zurichoise a développé l’idée que, en cas de revente des actions dans un délai de cinq ans (voire plus tard en cas de fixation d’une valeur de marché par une transaction tierce dans les cinq ans), le gain en capital réalisé devait être (partiellement) requalifié en salaire et imposé à titre de revenu. Cela revient donc à prévoir une deuxième lame d’imposition en cas de revente. Cette approche a malheureusement été reprise par l’Administration fédérale des contributions qui, dans le cadre d’une révision de sa Circulaire 37 à fin 2020, a étendu ce principe à toute la Suisse. En cas de revente à un prix important, c’est donc dans certains cas près de la moitié du gain réalisé qui devra être payée par le bénéficiaire au titre des charges sociales et de l’impôt sur le revenu.

Changement des règles en cours de route
Si cette révision est saluée dans les cantons qui avaient déjà une approche restrictive en la matière comme une clarification bienvenue, elle est par contre une mauvaise nouvelle pour les sociétés établies dans les cantons qui se limitaient à une application stricte de la loi et avaient donc une pratique plus favorable à l’innovation et aux start-up. C’est d’autant plus gênant que cela revient, pour de nombreuses sociétés et leurs employés, à changer les règles du jeu en cours de route. La requalification en salaire d’un gain en capital repose par ailleurs sur une base légale douteuse, puisque à ce jour en Suisse le gain en capital mobilier est toujours clairement exonéré de l’impôt sur le revenu par la loi. Economiquement, cette approche soumettra à l’impôt sur le revenu de la valeur souvent créée après l’octroi des participations, portant ainsi un coup sérieux aux espoirs des bénéficiaires de profiter pleinement des augmentations de valeur découlant de leur travail, principe central sous-jacent à tout plan de participations.

En attendant de futures décisions judiciaires, ou une nouvelle intervention politique au niveau fédéral, les entreprises concernées seront bien avisées d’examiner attentivement les conséquences de ces changements pour l’attractivité et la gestion de leurs plans de participations. Espérons en outre que les autorités fiscales cantonales parviendront à mettre en œuvre la circulaire fédérale sans devoir trop s’éloigner du cadre légal actuel. Il y va en définitive de l’attractivité de ce mode de rémunération et de la compétitivité de notre place économique, si l’on veut continuer à figurer en tête des classements d’innovation et voir de nouvelles sociétés se développer et créer des emplois dans notre pays.

Me Dominique Guex

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